Dans un entretien exclusif avec ChileCarne, la sous-secrétaire à l'agriculture, Ignacia Fernández, a évoqué l'importance de la sécurité alimentaire dans le contexte actuel et les actions stratégiques visant à la garantir dans le pays. La secrétaire d'État a expliqué comment la stratégie nationale vise à renforcer la production et l'accès à des aliments nutritifs, à relever les défis du changement climatique et à promouvoir la collaboration entre les secteurs public et privé pour garantir la sécurité alimentaire à tous les stades de la production, en détaillant les progrès et les objectifs qui transforment le paysage de la sécurité alimentaire au Chili.
- Quelle est l'importance de la sécurité alimentaire dans le contexte actuel et quelles sont les principales actions entreprises pour la garantir dans le pays ?
Veiller à ce que toutes les personnes, quels que soient leur âge et leur statut, aient accès à une alimentation adéquate et suffisante devrait être une priorité absolue pour tous les pays. Au Chili, la pandémie de COVID 19 a clairement montré qu'il restait encore beaucoup à faire pour résoudre ce problème. Avant la pandémie, selon les données de l'enquête CASEN de 2017, 10,2 % des personnes étaient en situation d'insécurité alimentaire modérée, c'est-à-dire qu'elles étaient confrontées à l'incertitude quant à leur capacité à obtenir de la nourriture et/ou avaient été contraintes d'accepter des aliments de moindre qualité, tandis que 3,4 % étaient en situation d'insécurité alimentaire grave, ce qui, dans le pire des cas, pouvait signifier passer un ou plusieurs jours sans manger. Au plus fort de la pandémie, 25 % des ménages à revenu réduit étaient en situation d'insécurité alimentaire, et l'insécurité alimentaire dans les quintiles 1 et 2 s'élevait à 30 % et 20 % (PNUD-MDSF 2020, Impuntos socioeconómicos de la pandemia en los hogares de Chile).
S'attaquer à cette réalité et aux multiples causes de l'insécurité alimentaire est un mandat de notre ministère, dans le cadre d'un travail conjoint et articulé avec d'autres ministères et services publics. C'est pourquoi nous avons dévoilé en mai dernier la stratégie nationale pour la sécurité et la souveraineté alimentaires, qui vise à consacrer le droit à l'alimentation et à définir un ensemble de principes fondamentaux pour garantir ce droit à tous. La stratégie adopte une approche globale qui aborde les différents maillons de la chaîne de valeur agroalimentaire, de la production à la consommation des aliments, y compris des actions sur des questions transversales telles que la durabilité, l'équité entre les sexes, la jeunesse rurale, le travail décent et l'associativité, entre autres. Loin d'une approche protectionniste, la stratégie propose une définition de la souveraineté alimentaire qui cherche à renforcer la production agricole et le commerce local en conjonction avec le développement du secteur agro-exportateur.
- Comment la production et la sécurité alimentaires seront-elles renforcées dans le cadre de la stratégie nationale de souveraineté en matière de sécurité alimentaire ?
Pour mettre en œuvre cette proposition, nous travaillons sur un plan d'action qui articule les politiques et les programmes avec lesquels les différents ministères contribuent à garantir le droit à l'alimentation.
La lutte contre la malnutrition est un domaine clé de la sécurité alimentaire dans lequel plusieurs ministères sont compétents. La malnutrition survient lorsque le régime alimentaire d'une personne contient trop peu de nutriments, ce qui peut entraîner la dénutrition, mais aussi le surpoids, l'obésité et les maladies non transmissibles liées à l'alimentation, qui sont de plus en plus fréquentes. Alors qu'en 2019, 23,5 % des enfants et adolescents entre la maternelle et le CP souffraient d'obésité, en 2021, le pourcentage d'enfants et d'adolescents obèses atteindra 31 %, soit 7,5 points de pourcentage de plus que deux ans plus tôt (Informe Mapa Nutricional 2021, JUNAEB).
En ce sens, nous devons garantir un accès physique, social et économique permanent à des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante pour répondre aux besoins nutritionnels et aux préférences alimentaires, afin que les gens puissent mener une vie active et saine. Cet objectif ne peut être atteint que par la mise en place d'un système alimentaire durable permettant une alimentation saine pour tous. Les initiatives incluses dans le plan d'action, telles que les microbanques alimentaires qui promeuvent la réduction des pertes et des déchets alimentaires que nous cherchons à mettre en œuvre en coordination avec d'autres ministères et gouvernements locaux, sont un exemple du travail que nous promouvons à cet égard.
En ce qui concerne les tâches propres au ministère de l'agriculture, nous travaillons à la conception d'un programme visant à soutenir la production et la commercialisation durables de légumes et d'autres aliments à haute valeur nutritionnelle qui font partie du panier alimentaire de base des ménages. Cela permettra d'augmenter l'offre d'aliments sains et sûrs produits par la petite agriculture familiale, afin de contribuer à l'amélioration de l'accès des ménages chiliens à ces aliments. Nous parions qu'en renforçant la capacité de production et de commercialisation des produits agricoles pour le marché national, nous améliorerons la disponibilité et les prix de ces produits, qui ne sont souvent pas suffisamment consommés parce que les familles ont des difficultés à y accéder en raison de leur coût élevé.
Au cours de la première année, le programme se concentrera sur le soutien à la production de légumes, de tomates et de pommes de terre, une priorité qui se justifie par le fait que ces aliments constituent une part importante des aliments frais nécessaires à une alimentation saine et qu'ils sont d'une importance stratégique pour l'agriculture du pays. Dans les années à venir, nous espérons étendre notre action à d'autres produits stratégiques pour la production nationale et la consommation des ménages.
- Quels sont les principaux défis auxquels le Chili est confronté en matière de sécurité alimentaire et comment sont-ils relevés ?
Le changement climatique est l'un des principaux défis auxquels nous sommes confrontés pour garantir la production alimentaire. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), d'ici 2050, nous devrons produire 50 % de nourriture en plus pour approvisionner la population, un défi qui est menacé par le contexte climatique.
Le Chili est considéré comme très vulnérable aux impacts qu'il aura sur les systèmes naturels et les communautés. Le changement climatique modifie les capacités de production des secteurs de la sylviculture et de l'élevage, les ressources naturelles et les agro-écosystèmes. Cela a des répercussions sur la production, mais aussi sur l'économie, la société et l'environnement. L'agriculture est une activité stratégique pour tout pays, dont l'impact social se manifeste par la main-d'œuvre qu'elle génère, les chaînes de production qu'elle mobilise et les effets régulateurs de la démographie sur l'occupation du territoire.
Nous voyons déjà comment les nouvelles conditions agro-climatiques redessinent la carte de la production, avec la perte d'aptitude des sols de la zone centrale pour certains types de production conventionnelle et le déplacement des cultures d'exportation vers le sud du pays, où les conditions de production pourraient s'améliorer pour les cultures fruitières et viticoles. Certaines études montrent que la délocalisation de la production de fruits et légumes vers le sud est déjà en cours. L'élevage caprin sera le plus touché, tandis que l'élevage bovin pourrait s'améliorer dans le sud, en raison de l'état des pâturages.
Pour faire face à cette situation complexe, nous travaillons sur différentes actions. Par l'intermédiaire de la Commission nationale des irrigations, nous promouvons la nouvelle loi sur les irrigations, une initiative qui vise à moderniser les garanties de sécurité de l'eau pour les petits agriculteurs, ainsi qu'à améliorer l'efficacité de l'utilisation de l'eau, à incorporer l'agriculture irriguée dans les zones en retard, à améliorer continuellement les systèmes d'irrigation pour parvenir à l'adaptation nécessaire au changement climatique et, par conséquent, à garantir la sécurité alimentaire, le tout dans l'idée d'avancer vers un développement rural et territorial durable et équitable. Nous espérons que cette initiative sera bientôt approuvée et qu'elle permettra d'avancer vers une plus grande sécurité de l'eau.
Au cours de cette année, nous présenterons également le projet de loi sur le système d'incitation à la gestion durable des sols (SIGESS), qui transformera l'actuel programme sur les sols et nous permettra de contribuer à la durabilité agro-environnementale de la ressource sol, dont les objectifs seront la récupération du potentiel productif des sols agricoles dégradés et le maintien des niveaux d'amélioration atteints, qui seront régis par les règles de cette loi.
Quelles sont les mesures mises en œuvre pour garantir la sécurité alimentaire à tous les stades de la production, de la ferme à la table ?
La sécurité alimentaire est essentielle pour renforcer la souveraineté et la sécurité alimentaire, de sorte que la population ait accès à des quantités suffisantes d'aliments sains et nutritifs. Au Chili, le cadre institutionnel de la gestion des risques alimentaires est principalement concentré dans trois institutions : le ministère de la santé, par le biais des secrétariats ministériels régionaux, le ministère de l'agriculture par le biais du service de l'agriculture et de l'élevage (SAG), et le ministère de l'économie par le biais du service national de la pêche et de l'aquaculture (SERNAPESCA). En outre, la Commission consultative présidentielle ACHIPIA est chargée de promouvoir la coordination de ces institutions et de soutenir la prise de décision fondée sur des données probantes.
Notre pays se caractérise par un cadre institutionnel techniquement solide en matière de sécurité et de qualité des aliments, partagé par le public. Il est prouvé que la population a tendance à faire confiance à l'étiquetage des aliments, au processus de production et aux institutions de contrôle, et les agriculteurs sont également identifiés comme les acteurs de la chaîne alimentaire qui suscitent le plus de confiance.
Par exemple, en ce qui concerne la production primaire, l'harmonisation et l'intégration entre le SAG et le ministère de la santé des programmes de surveillance et/ou de contrôle des résidus de pesticides dans les fruits et légumes destinés à la consommation nationale renforceraient considérablement la gestion de ces risques, en optimisant l'utilisation des ressources et l'efficacité du système. Ceci est conforme au dernier rapport disponible du Réseau d'alerte et d'information sur les aliments (RIAL), qui souligne la nécessité de prêter attention à la prévalence plus élevée des risques chimiques, principalement des résidus de pesticides, dans les fruits et légumes frais commercialisés au niveau national.
Le renforcement de notre cadre institutionnel pour faire face à ces questions est une tâche fondamentale. C'est pourquoi, dans les prochaines semaines, nous convoquerons le Conseil ACHIPIA, composé de différents sous-secrétariats compétents en matière de sécurité alimentaire, précisément pour analyser les différentes options d'institutionnalisation de cet organe, qui est né avec un caractère consultatif, mais dont nous devons nous efforcer d'assurer le caractère permanent.
- Quelle est l'implication et la collaboration des secteurs public et privé dans la promotion de la sécurité alimentaire au Chili ?
Il existe un partenariat public-privé dans la promotion de la sécurité alimentaire. Rien que pour l'élaboration de la stratégie de souveraineté pour la sécurité alimentaire, nous avons travaillé en coordination avec huit ministères, 55 institutions publiques, y compris les gouvernements régionaux et communaux, 84 institutions privées, 24 institutions académiques, trois organisations internationales et 43 particuliers. Aproleche Osorno, Fedeleche, Fedefruta et Horticrece sont quelques-uns des acteurs privés qui ont participé à l'élaboration de cette importante initiative nationale.
Ces acteurs sont réunis autour de la Commission nationale pour la sécurité et la souveraineté alimentaires (CNSSA), créée le 16 juin 2022 au palais de La Moneda pour élaborer et suivre la mise en œuvre de la stratégie de sécurité et de souveraineté alimentaires.
Dans les mois à venir, à mesure que nous progresserons dans la mise en œuvre du plan d'action, nous espérons inclure de plus en plus les gouvernements régionaux et locaux, dont beaucoup mettent déjà en œuvre des actions auxquelles nous devons nous associer en tant que gouvernement pour soutenir l'alimentation des personnes dans différents contextes.
- Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour renforcer la capacité à répondre à d'éventuelles crises ou catastrophes naturelles susceptibles d'affecter la production alimentaire ?
J'ai souligné que le changement climatique exerce une pression sur l'agriculture en raison de l'intensité et de la fréquence accrues des événements extrêmes qui ont un impact sur les cultures, les récoltes et les terres agricoles et sylvicoles. Ces événements agroclimatiques sont souvent combinés à d'autres événements phytosanitaires dans un scénario qui conduit à des urgences répétées que nous devons nous efforcer de traiter d'une manière différente, avec une plus grande capacité d'anticipation et de prévention, ainsi que par un travail plus coordonné avec d'autres institutions qui disposent d'instruments pour soutenir l'atténuation des risques et les stratégies de réponse.
Un exemple du travail que nous avons réalisé à cet égard est celui que nous menons avec Chilehuevos, CORFO, Banco Estado et Agroseguros pour faire face à l'impact économique et productif que la dernière épidémie de grippe aviaire a eu sur la production de volaille.
À cet égard, outre la mise en place d'une table ronde technique entre le SAG et l'industrie pour renforcer le réseau de surveillance et d'alerte précoce et ainsi réduire et contrôler l'apparition de nouveaux foyers, nous cherchons à soutenir la réhabilitation productive des entreprises touchées avec des instruments visant à soutenir la compétitivité, l'assistance technique et le redressement des entreprises.
L'activation de cet ensemble d'instruments représente un effort intersectoriel de la part du gouvernement pour développer des solutions de politique publique à l'apparition d'une crise imprévue telle que la grippe aviaire, en donnant la priorité à la bonne gestion, à l'utilisation efficace des ressources publiques et à la capacité d'articuler les instances de travail public-privé. L'objectif est également de jeter les bases d'une méthodologie de travail qui pourrait être utile pour des événements similaires à l'avenir et qui mettent à l'épreuve la capacité de l'État à élaborer des solutions efficaces et durables.
- Comment la sécurité alimentaire est-elle suivie et évaluée au Chili, et quels sont les principaux indicateurs utilisés pour mesurer les progrès dans ce domaine ?
La source officielle de données sur l'insécurité alimentaire au Chili est l'Enquête nationale de caractérisation socio-économique (CASEN). Elle contient des données pertinentes sur la prévalence de l'insécurité alimentaire modérée à sévère au niveau national, ventilées par région, sexe, appartenance aux peuples indigènes, pauvreté, entre autres. Il est important de noter que ces informations n'ont commencé à être communiquées que dans le CASEN 2017, après l'intégration de l'échelle internationale de l'insécurité alimentaire (FIES) conçue par la FAO, dans le but de connaître la situation nationale tout en étant en mesure de la comparer à celle d'autres pays, ce qui permet de suivre l'agenda 2030 des ODD. Le CASEN 2022 sera la prochaine mise à jour de l'insécurité alimentaire au niveau national.
D'autre part, la carte nutritionnelle de Junaeb est publiée chaque année, dans le but de mesurer et d'alerter sur la situation nutritionnelle des élèves des écoles maternelles, élémentaires et secondaires dans tout le pays. Les variables de la malnutrition, du retard de croissance et de la malnutrition par excès (surpoids, obésité et obésité sévère) sont rapportées, ce qui permet de déduire indirectement la situation alimentaire des ménages chiliens, en obtenant des données désagrégées au niveau régional, par sexe, par peuple indigène et par nationalité (chilienne ou étrangère).
Au niveau du ministère de l'agriculture, nous assurons le suivi des travaux menés dans le cadre de la Commission nationale pour la sécurité et la souveraineté alimentaires et nous prévoyons de mettre bientôt à disposition une série d'indicateurs et d'objectifs liés à la mise en œuvre du programme de soutien à la production durable et à la commercialisation d'aliments à haute valeur nutritionnelle.
*Cet entretien a été reproduit intégralement sur le site chilecarnes.cl